Bonjour Lili bulle. Nous nous ne sommes pas vu depuis longtemps. Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps ?
LB : Je vous vois venir. Non, je n’ai pas procrastiné ! Je travaillais sur un scénario de jeu vidéo abordant les enjeux de l’Intelligence Artificielle. Je suis désormais en phase de finalisation, je peux enfin répondre à vos questions.
Vous n’auriez pas pu faire les deux !
LB : Non, le délai imparti ne me l’autorisait, j’ai dû prioriser et vous en avez fait les frais.
D’accord. Et de quoi allez-vous nous parler aujourd’hui ?
LB : Je vais aborder la place des émotions dans la procrastination anxieuse notamment en vous parlant de la notion de mécanisme de défense. À votre avis, quelles sont les émotions que tentent de juguler la procrastination ?
… L’anxiété ?
LB : Si je vous comprends bien, vous procrastinez parce que vous êtes anxieux. Vous remettez au lendemain parce que vous avez peur, c’est ça ?
Oui, bien sûr ! J’ai peur d’appeler mon banquier car je sais d’avance qu’il ne sera pas content de moi, donc je remets au lendemain. C’est parfaitement logique !
LB : Logique ? Laissez-moi vous dire qu’il n’y a rien de logique dans votre analyse du point de vue des émotions. La peur est une émotion dont la vocation est de vous mettre en action. Imaginons que vous vous promeniez dans les bois et que vous tombiez nez à nez avec le loup. Si comme vous dites, vous en avez peur, vous conviendrez avec moi que la réaction normale est de le fuir.
La procrastination est une fuite. C’est évident !
LB : Que pensez-vous d’une fuite qui vous ramène toujours face au loup, petit chaperon rouge ?
Je vous remercie de ne pas me servir vos comparaisons désobligeantes…
LB : Vous n’avez pas répondu à ma question. Que vous inspire le loup ?
Il me fait peur évidemment !
LB : Alors pourquoi restez-vous à lui faire la conversation en dégustant vos madeleines de Proust ?
Il n’y avait pas de madeleines dans le panier du petit chaperon rouge !
LB : Je vais répondre à la question à votre place puisque vous ne voulez pas vous y pencher sérieusement. Vous ne fuyez pas parce que le loup ne vous fait pas peur.
Le loup est un menteur !
LB : Vous ne fuyez pas parce qu’au lieu d’avoir peur, vous culpabilisez et vous restez donc à lui faire la conversation pendant des heures, vous serez même amené à l’inviter à manger si vous continuez à culpabiliser.
Je ne vous comprends absolument pas, Lili bulle !
LB : Imaginons que le loup représente votre Surmoi et votre panier, la procrastination et vos madeleines de Proust, les activités dans lesquelles vous vous plongez quand vous remettez au lendemain. Vous vous promenez tranquillement dans les bois et vous tombez sur le loup au détour d’un sentier. Si vous en aviez peur, vous seriez censé prendre vos jambes à votre cou… c’est-à-dire vous ruer sur votre téléphone pour appeler votre banquier. Mais au lieu de ça, vous consultez le contenu de votre panier, tombez sur vos madeleines de Proust, vous en mangez une, puis deux, puis trois, puis dix … au lieu de réagir. Tandis que vous vous goinfrez de vos madeleines de Proust sous les yeux du loup, vous avez quand même conscience de sa présence et vous culpabilisez de ne pas être capable de le regarder en face et de faire ce que vous devriez faire. Par le biais de la procrastination, vous transformez la peur en culpabilité. La peur est censée vous faire agir, la culpabilité, elle, vous paralyse.
Pauvre petit chaperon rouge, il va finir dans le ventre du loup !
LB : Il y a peu de chances. La procrastination est un mécanisme de défense. Qu’est-ce qu’un mécanisme de défense ? Il s’agit d’un processus de défense élaboré par le Moi contre le Surmoi. Ces mécanismes psychiques interviennent en cas de conflit interne entre le Moi et le Surmoi et préservent le Moi de la pression du Surmoi, c’est-à-dire de la sentence du juge interne. Les mécanismes de défense visent à renforcer le Moi face au Surmoi quand il nous méjuge. Il existe des mécanismes de défense qui remplacent le ressenti d’une émotion par une action, par exemple l’agression physique ou verbale quand le Surmoi pourrait nous juger coupable, et d’autres qui à l’inverse remplacent une action (faire face à l’adversité et prendre le risque d’échouer) par un ressenti : la culpabilité. La procrastination est donc la conséquence d’un Moi qui se défend contre le Surmoi.
J’ai perdu le fil par rapport au Petit Chaperon Rouge…
LB : Le Petit Chaperon Rouge, c’est votre moi, et le loup votre surmoi. Le Surmoi vous fait peur, il est censé vous obliger à vous comporter en fonction du principe de réalité. Quand vous n’êtes pas à la hauteur, il vous le fait savoir en vous dévorant tout cru, mais votre petit chaperon rouge a appris à se soustraire au jugement du loup en utilisant ses madeleines de Proust. Dans d’autres cas, il aurait pu vous apprendre à agresser autrui quand votre Surmoi vous met un peu la pression, vous avez de la chance !
Comment faire pour échapper au loup … Non, pour échapper au Petit Chaperon Rouge… euh non, comment faire pour appeler le Banquier ?
LB : Ayez le courage de vous montrer à la hauteur. Ce n’est pas votre Surmoi qui est trop fort, mais votre moi qui est un peu raplapla. Vous pourriez vous dire par exemple : « Mon Surmoi veut que j’ai peur des conséquences de mon manque d’actions, je ne veux pas avoir peur, je dois donc agir ! » Et si cela ne suffit pas, vous pourriez ajouter : « Si je ne le fais pas, mon Surmoi va me juger. Et à la place de la peur, il va m’infliger tout un tas de tourments, il me murmura à l’oreille que je ne suis qu’un faible petit Moi indigne de sa confiance. Il me dira que je manque d’amour propre… et il entamera chaque jour un peu plus ma confiance. À partir d’aujourd’hui, au lieu de lui jeter mes madeleines de Proust à la figure pour l’amadouer, je lui démontre que je peux courir plus vite que lui. Je suis aussi fort que le Grand Méchant Loup ! »
Je ne me sens pas aussi fort que le Grand Méchant Loup !
Pourtant vous passez votre temps à l’embobiner ce pauvre loup, il doit se sentir bien incapable… Et il vous le fait sentir ! Affronter la peur au lieu de culpabiliser. Et pensez à jeter votre panier, vous courrez plus vite !
D’accord. Quand se revoit-on, Lili Bulle ?
LB : À la semaine prochaine. Ciao, ne bullez pas trop !